Pendant la nuit, nos oreillers tombent dans la poussière, du haut des planches qui nous servent de lit. À 7h30, heure où on devrait déjà être à petit-déjeuner chez Domitila, je me réveille avec un foutu mal de ventre. Les autres continuent à dormir…! Enfin, la ponctualité n'est pas la règle la plus stricte ici, on n'est pas à quelques heures près! Je reste allongée pour ne pas m'éloigner au cas où ils se réveillent, et je cherche à détendre tous ces muscles contractés involontairement; d'abord relâcher la mâchoire, les poings… Je ne sais pas pourquoi je suis tendue, peut-être parce que j'aurais voulu me lever tout de suite et me balader, commencer la journée plus tôt… Ne pas imposer mes habitudes, ne pas imposer…!
Pour le petit déjeuner, on entre dans la cuisine, vieille baraque sombre aux pierres noircies par la fumée et au toit haut pour qu'il ne brûle pas. Domitila remue la cuillère dans sa marmite comme une gentille sorcière. Le chat est là, farouche, quémande quelque chose. Il n'a pas de nom; il ne sert qu'à attraper les souris! On découvre par ailleurs que notre "café" est en fait de la "cebada tostada" (maïs grillé et moulu), qui se boit avec de l'eau chaude ou froide. Cela accompagne le riz et les frites avec des algues (Cuchayuyo, car le poisson est rare) et du chuno, patate que l'on déshydrate pour qu'elle se conserve plus longtemps (les incas étaient à l'origine de cette technique)… Ce n'est pas surprenant si on rêve de chocolat!
On ne trouve rien de mieux pour le pti-dèj que de parler des trafics d'organes faits avec les enfants de Lima. Dani, le petit garçon du premier soir, nous espionne de la porte pendant la conversation. Puis Domitila, sa tante, l'appelle pour qu'il vienne manger. Il est le plus souvent fourré là, car son père est mort et sa mère malade. De plus, les réseaux familiaux semblent très resserrés en cas de nécessité. Dani dit faire des avions de bric et de broc quand il y a du vent. Le vieux chien Yoggi (pour une fois qu'un animal à un nom et non qu'une fonction utilitaire!!) nous témoigne son affection. Le ciel est beau. Je me détends. Jusqu'à ce que je sois un peu agacée par le fait que les espagnols appellent sans cesse leur famille au téléphone. Sans doute par bravade, je me crois forte parce que je n'éprouve ni le besoin ni l'envie de contacter ma famille. Réaction stupide, orgueilleuse et sans fondement, ça me désole mais c'est ce que j'ai ressenti.
Puis on discute de nos projets en tant que volontaires, parce qu'en attendant que Fortunato rentre de Chusakay, le matos pour la confection des panneaux touristiques n'est toujours pas arrivé, et on reste en plan. Donc, on prévoit d'organiser un concours de contes avec récompenses, donner des cours d'anglais à l'école, essayer de leur créer une boîte-mail.
En effet, alors qu'ils attendent de concrétiser le projet de mini-centrale pour janvier 2007, le panneau solaire fournit un minimum d'électricité. Cela permet au secrétaire municipal d'utiliser la radio (plus pratique que le téléphone mais limitée à l'administration) et de mettre de la musique américaine des sixties sur la place poussiéreuse, où un enfant crasseux se trimballe avec un mouton à demi dépecé sur le dos! Conflit d'époque et de civilisation!
Alors que nous cherchons à faire un inventaire des fêtes et légendes locales, je vais avec Camille interroger un groupe de trois adultes discutant sur la place; ce sont le secrétaire de la municipalité et les policiers très informels, sans uniformes et qui nous proposent un match de volley à 15h, que nous devrons gagner pour qu'ils fassent une parade militaire! Le secrétaire nous parle donc de la fête du patron protecteur de la ville, San Sebastian, fête très prisée du nettoyage des canalisations. Il y a aussi les corridas locales, l'histoire de la guerre de l'eau entre les anciennes tribus Ayamarae et Umaccacha (qui signifie littéralement "tête coupée"). Ils se plaignent aussi, après un peu de discussion, de l'ONG AEDES avec laquelle on est, qui diviserait les habitants sur l'ouverture aux touristes indépendants (les "mochileros") et qui délaisserait Charcana. Bon, intéressant à savoir. On demande par ailleurs au secrétaire de demander dans sa radio aux enfants de venir, après le travail des champs, dans la cour de l'ancien couvent délabré, dont quelques bâtiments pas encore éboulés servent de commissariat. Cela afin de concrétiser le concours de contes.
En repartant déjeuner vers 13h30, on croise un troupeau de lamas aux oreilles décorés. Ils portent du maïs et semblent désagréablement fiers et susceptibles! Je suis d'accord avec le capitaine Haddock! À la table du repas, nous avons un nouveau convive. Pas très causant mais avec un regard très spécial et d'épaisses boucles blanches sur la tête. Car en fait, il n'as que ça, une tête. C'est une tête de mouton qui est posée à côtés de nos assiettes! Ca devient donc mon amoureux officiel, car je fais semblant de l'embrasser sur sa bouche inerte, et Domitila lui sort même la langue de la mâchoire pour faire plus "vrai"!! Lui au moins, je l'aurai pour l'éternité! Mais l'éternité, c'est long, et en attendant Domitila me sert un "mate" à l'herbe amère pour calmer mes maux de ventre, certes matériels mais bien réels.
Une fois sur la place, on voit les enfants jouer aux billes et surtout au volley avec les adultes (leurs profs, le directeur…!). Comme promis, on va donc jouer aussi. On perd et gagne chacun une partie. Mary se fait moquer pour ses capacités sportives hors norme! On joue ensuite au foot (d'ailleurs même ici, on a entendu parler du coup de tête de Zidane!), une partie gars une partie filles. On crache notre sang; essayez de courir avec un ballon à 3700 mètres d'altitude, vous verrez!
Puis on va faire le fameux concours de contes. Ils sont d'abord très peu, puis, petit à petit, alors que la lumière tombe, ils s'approchent de loin. Mary raconte d'abord le petit chaperon rouge, puis on fait plouf-plouf pour savoir qui commence. On leur laisse d'abord un peu de temps pour préparer, et ça s'enchaîne, on note, ça afflue, on finit à la lampe de poche avec des enfants qui vous grimpent presque dessus. À la fin, je fatigue et n'arrive même plus à noter et encore moins à comprendre. Un petit garçon nommé David fait bien rire tout le monde, mais ma concentration défaille. Et qu'est-ce qu'il fait froid! Pourtant, au fur et à mesure qu'on ne voit plus leur visage à cause de la nuit et que je fatigue, tout le monde veut raconter des histoires encore et encore. Alors que la nuit est avancée, on est obligés d'arrêter nous-même. Ils veulent alors enchaîner sur un concours de chansons! Ce sera un autre jour. Les récompenses (bonbons et stylos) en déçoivent certains, et ce n'est pas facile de décider, encore moins de donner ça!
j'ai lu vos écrits, j'ai l'impression que vous avez fait un cauchemar car ce n'est pas le vrai Pérou qui est décrit, c'est dommage de mettre tant d'âme aux choses négatives, imaginez si je raconte la France par les quartiers sales de marseille ou paris et les français pour les quelques cas sociaux des banlieues...
bonjour!
je suis désolée que vous ayez ressenti cela. Ca a été mon plus beau voyage, et c'est cette réalité "crue" qui m'a plue. Je ne cherche pas à dire que le Pérou n'est que comme ça, mais en tant que jeune occidentale, je suis partie à la recherche d'une réalité autre. Pas "mieux" ni "moins bien" que celle des musées et des belles initiatives. Mais c'était une façon de voyager et de penser à la base. Ajoutez à cela un contexte personnel et initiatique qui influence la manière dont on perçoit les alentours... En bref, ce n'était pas un cauchemar, mais ce n'est pas non plus une réalité figée!
http://india07.centerblog.net